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#JNArchiEmblématique de la « querelle des anciens et des modernes », la Pyramide du Louvre fêtait ses 30 ans en 2019. Initialement publié à l'occasion des Journées Nationales de l'Architecture 2019, l'article revient sur un chantier des plus décriés en son temps.*
La Pyramide du Louvre - Arch : I.M Pei © Fred Romero CC BY 2.0
La Pyramide du Louvre - Arch : I.M Pei © Fred Romero CC BY 2.0
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Organisées autour du thème de l’insertion de l’architecture contemporaine dans un contexte patrimonial, les Journées Nationales de l’Architecture 2019 constituaient l'occasion de revenir sur le projet emblématique de la Pyramide du Louvre, qui amorçait, il y a 30 ans, un nouveau regard sur cette question.*

Si la rénovation globale du musée était décriée en son temps, elle a ouvert le pas à de nombreuses réalisations depuis, alliant architecture contemporaine et patrimoine.

Le Louvre, ce chantier monumental

Le chantier monumental du musée du Louvre se dessine dès 1981 autour de la personnalité du président François Mitterand. L’idée, soufflée par le ministre de la culture Jack Lang à l’époque, est alors de « recréer le Grand Louvre en affectant le bâtiment tout entier au musée ».

Louvre Pyramid in construction in August 1987, Paris France © Joseolgon (CC by 3.0)

En plus de récupérer l’aile Richelieu, côté rue de Rivoli, qui était occupée par les bureaux du ministère des Finances, pour aménager de nouveaux espaces d’exposition, le défi posé par le projet était de répondre au cruel manque d’organisation de l’institution. Depuis les circulations jusqu’à l’espace d’accueil du musée, tout doit alors être repensé.

Ieoh Ming Pei, une évidence pour réaliser ce chantier

Pour François Mitterand, le choix de l’architecte ne fait aucun doute. En plus de la Bibliothèque présidentielle Kennedy qu’il réalisait à Boston en 1979, le sino-américain Ieoh Ming Pei avait livré, un an plus tôt l’extension de la ‘’National Gallery of Art’’ de Washington.

Portrait I.M Pei © 準建築人手札網站 Forgemind ArchiMedia (CC BY 2.0)

Une réalisation remarquable selon le président français, pour « l’habileté que (l’architecte) avait montrée dans le lien entre la partie ancienne et la partie nouvelle de l’East Building Washington » racontait Ieoh Ming Pei en 2009 interrogé par Philip Jodidio, et de poursuivre :

“Je n’étais en fait pas d’accord avec lui, car quarante années seulement séparent la partie ancienne de la National Gallery et mon nouveau bâtiment, alors que l’histoire du Louvre s’étend, elle, sur huit siècles.”

Loin de prendre ce chantier à la légère, celui que l’on désigne par ses initiales « I.M », prendra plus de quatre mois avant d’accepter la lourde tâche de modifier le paysage parisien. L’architecte, empreint de respect pour l’histoire française, prend toute la mesure du passé national que représente l’édifice si bien que, dès le départ, il envisage le chantier comme une mise en lumière du bâti existant plus qu'une confrontation entre deux époques.

Mais ce positionnement n’est pas évident pour les parisiens qui ont vu quelques années plus tôt se dessiner les formes contemporaines de Beaubourg, imaginées par Renzo Piano et Richard Rogers, en plein cœur du marais.

La nouvelle bataille entre anciens et modernes

Accusé d’être un « hangar de l’art », « une usine, un paquebot, une raffinerie » et même surnommé « Notre-Dame de la tuyauterie » pendant un temps, le Centre Pompidou représente le chantier emblématique de ce que nommera Le Figaro dans un article paru le 3 janvier 1976, « la nouvelle querelle des anciens et des modernes ».

Le Centre Pompidou - Arch. Renzo Piano, Richard Rogers © Fred Romero (CC BY 2.0)

Un débat remis sur la table à partir de 1984, lorsque les premières maquettes du Grand Louvre sont dévoilés au public. La presse s’indigne, une pétition qui s’oppose au chantier est lancée, un livre-réquisitoire des historiens Antoine Schnapper, Sébastien Loste et Bruno Foucart est publié.

Le public croit à une blague et trouve le projet trop futuriste. La cible ? La pyramide centrale accusée de dénaturer la Cour Napoléon, autrefois parking du ministère des finances.

Voici le Louvre

L’édifice est imaginé en verre très clair grâce à un processus de fabrication spécial réalisé à partir de sable blanc. Alors qu’un panneau de verre classique aurait eu tendance à virer au vert bouteille, I.M Pei souhaite une transparence maximale des parois de la pyramide, permise par un procédé spécifiquement mis en place pour le chantier.

À la demande de l’architecte, le président de Saint-Gobain est catégorique. « Si vous aviez mille pyramides, je le ferais pour vous, mais pour une pyramide, jamais » déclare-t-il. Il ne tardera pourtant pas à changer d’avis lorsque François Mitterand l’interpelle, et l’architecte d’ajouter : « avec un bon client, vous pouvez faire de bonnes choses ».

Le verre blanc de la Pyramide du Louvre - Arch. I.M Pei © Carles Tomás Martí (CC BY 2.0)

La conception de la pyramide est capitale : elle constituera l’entrée principale du Louvre. Dès lors elle « portait la lourde responsabilité de dire : ‘’Voici le Louvre’’ » se remémore I.M Pei, « ce ne pouvait être une forme trop imposante, ni trop dominante pour ne pas entrer en compétition avec le palais lui-même, c’est pourquoi l’utilisation du verre et non de la pierre. »

Dans le cadre des grands travaux entrepris par François Mitterand, bien d’autres chantiers sont menés en parallèle, ne soulevant pas les foules pour autant. Au Musée d’Orsay, on réaménageait les intérieurs pour une ouverture au public en 1986, l’Institut du monde arabe sortait de terre l’année suivante, tandis que l’Opéra Bastille était inauguré en 1989 à l'occasion des festivités du bicentenaire de la Révolution.

La partie immergée de l’iceberg

Si l’on reproche à l’architecte du Grand Louvre une approche géométrique et moderniste du projet incompatible avec le classicisme du site, la pyramide ne représente en réalité que la partie immergée d’un réaménagement colossal du musée.

En creusant la cour Napoléon, près de 92 000 m² d’espaces d’exposition et de circulation sont dégagés pour créer une entrée centrale, un auditorium moderne, de nouveaux espaces d’exposition, des boutiques mais aussi toute l’infrastructure technique nécessaire à l’institution.

Coucher de soleil sur la Pyramide du Louvre - Arch. I.M Pei © Gaël Varoquaux (CC BY 2.0)

Sous le verre et l’acier de la pyramide, règnent le béton et la pierre dans une relation complémentaire : le béton prolonge la pierre, la révèle. Les précautions adoptées quant à la qualité du béton sont d’une ampleur incroyable sur le chantier. « L’objectif était à l’origine de faire un béton plus beau que celui de Washington » déclarait l’architecte auprès de ses équipes, et de conclure en toute modestie : « nous avons finalement réalisé le plus beau béton du monde ».

Inauguré une première fois le 4 mars 1988 par François Mitterrand, le « plus grand musée du monde » rouvrait ses portes au public le 29 mars 1989.

La pyramide au cœur de l’histoire de France

Près de 20 ans après l’inauguration de son œuvre emblématique qui fait dialoguer le ciel de Paris, les bâtiments historique du musée et son entrée principale, Ieoh Ming Pei l’affirmait sans ambages :

“Sans le Louvre, la Pyramide n’aurait pas d’intérêt particulier. C’est le contexte et l’histoire du lieu qui enrichissent la pyramide et lui donne sens.”

Harmonie, majesté et sobriété : ainsi était décrit l’édifice à l’occasion de ses 30 ans fêtés en grande pompe le 29 mars dernier. L’artiste JR s’en emparait alors pour une œuvre éphémère, grandeur nature, comme une nouvelle manière de renouer avec l’art contemporain.

Visible pour une très courte durée, le gigantesque collage mettait en image les fondations fantasmées de la pyramide, rendant ainsi hommage au chef-d’oeuvre de Ieoh Ming Pei, qui décédait à peine 2 mois plus tard.

Un dialogue renouvelé entre architecture contemporaine et patrimoine

Alors que le projet faisait polémique en 1984, il a pourtant ouvert la voie à de nombreuses autres réalisations envisageant cette rencontre entre patrimoine et architecture contemporaine.

Quelques années plus tard, en 1993, l’architecte Jean Nouvel restructurait l’Opéra de Lyon en ne gardant du bâti existant, construit en 1831 par Antoine-Marie Chenavard et Jean-Marie Pollet, que les quatre façades et le foyer du public, partie classée historique.

L'opéra de Lyon restructuré - Arch. Jean Nouvel © Pierre Guinoiseau (CC BY 2.0)

Si l’extérieur du bâtiment était initialement critiqué, notamment pour la verrière à son sommet, il s’est aujourd’hui imposé dans le paysage urbain et constitue un autre exemple réussi de rénovation contemporaine.

En 1997, Ibos et Vitart signaient la rénovation et l’extension du Musée des Beaux-Arts de Lille dont le parti pris du projet était, selon les mots des architectes, de « restituer au lieu sa normalité ». Les références au passé sont nombreuses et une fois de plus ici, un plan de verre clair avec des points miroirs, réalise l’interface entre l’ancien et le nouveau.

Une écriture discrète, mais présente

Plus récemment, Bernard Desmoulin réhabilitait le Musée Cluny consacré au Moyen-Âge en s’inscrivant dans le prolongement du bâti existant. Rappelant le récit ancien, il apporte une touche de modernité à l’ensemble.

Et si finalement, la difficulté pour l’architecte lorsqu’il intervient sur un bâti historique, était, comme l’exprime Philippe Prost en 2017 lorsqu'il réaménage la Monnaie de Paris, de « trouver le matériau juste avec une écriture qui soit à la fois discrète et à la fois présente mais qui parle de ce qui se passe dans ce lieu ».

Une manière de replacer le bâtiment dans le mouvement du XXIème siècle et d’envisager l’architecture contemporaine, plutôt que dans la confrontation avec les réalisations anciennes, comme un outil capable de valoriser le patrimoine et son évolution dans le temps.

*Cet article était initialement publié le 9 septembre 2019 à l'occasion des Journées Nationales de l'Architecture dont tema.archi est partenaire média.

Marie Crabié