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EntretienMembre du duo Air, Nicolas Godin revient sur le devant de la scène avec un second album solo : Concrete & Glass. Le musicien y révèle son attachement à l'architecture et renoue avec sa vision romantique de la discipline. Rencontre.
Nicolas Godin pour Concrete & Glass, 2020 © Camille Vivier
Nicolas Godin pour Concrete & Glass, 2020 © Camille Vivier
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Nous rencontrons Nicolas Godin dans un environnement qui lui est familier, un studio d'enregistrement de la capitale qu'il a lui même dessiné. Parce qu'avant de connaître le succès mondial de Air à partir de 1995 aux côtés de Jean-Benoît Dunckel, Nicolas Godin est passé par l'architecture dans laquelle il a «baigné pendant toute son enfance».

Nous avons notamment souhaité revenir avec lui sur ses jeunes années, à l'occasion de la sortie de son second album solo Concrete & Glass (Because Music) qu'il compose comme une ode à l'architecture, «art noble».

tema.archi : L’album Concrete & Glass prend son origine dans une collaboration réalisée avec l’artiste Xavier Veilhan autour du projet Architectones. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce projet ?

Nicolas Godin : À travers le projet ArchitectonesXavier Veilhan s’est demandé quelles étaient les maisons de rêves dans lesquelles il souhaiterait exposer ses œuvres, avant même de savoir si c’était réalisable.

Il est parti du projet de la VDL Research House de Richard Neutra à Los Angeles et par extension, il a choisi d’autres bâtiments d’architectes qu’il admire : Richard Neutra, Pierre Koenig, John Lautner, Claude Parent, Mies Van der Rohe, Constantin Melnikov, Paul Virilio et Le Corbusier. À partir d’une de leur réalisation, il a donc créé des œuvres in situ qui étaient liées à leur concepteur pour ensuite les y exposer.

Comment la rencontre entre architecture et musique s’est-elle faite ?

Quand le projet a commencé à prendre forme, Xavier Veilhan est venu me trouver en me disant : «Ça va se réaliser. Est ce que toi tu as des idées musicales pour adhérer à ce projet ? Comment peut-on y intégrer la musique ?» Le projet m’a tout de suite intéressé à plusieurs titres. D’abord parce que j’ai grandi dans l’architecture et Xavier savait que je pourrais avoir un intérêt pour ce genre de projet.


Ça m’a aussi permis de revenir à mes premiers travaux autour de l’architecture de Le Corbusier dans le cadre d’un des derniers projets qui avait lieu sur le toit de la Cité Radieuse à Marseille. J’ai toujours été fasciné par la coupe de cet immeuble avec ce système de modules de duplex qui s’emboitent les uns avec les autres. J’avais envie de la traduire musicalement et donc j’ai composé le morceau Cité Radieuse qui se trouve à la fin de l'album.

Cet intérêt pour Le Corbusier, vous l’exprimiez déjà dans votre premier morceau alors que vous étiez encore étudiant en architecture...

J'ai fait mes études d’architecture à Versailles puis à la Villette, et je me suis arrêté juste avant le diplôme. J’ai notamment arrêté mes études pour faire le morceau Modulor Mix, qui constituait un clin d’œil au Modulor de Le Corbusier. C’est une sorte d’habillage sonore destiné à être écouté dans une de ses maisons, une idée assez proche de celle mise en place dans le cadre du projet de Xavier finalement.

Les études en architecture ne sont-elles pas justement l'occasion d'aller au-delà d'une référence comme Le Corbusier et de découvrir d’autres sources d’inspiration ?

J’ai trouvé à mon époque [NDLR : Nicolas Godin était en études entre 1989 et 1995], notamment dans le cadre des cours suivis à l’École de Versailles, que les professeurs étaient vraiment obsédés par Le Corbusier. Ça m’a marqué et ensuite ça m’a déçu.

J’ai trouvé que l’on n’était pas assez ouverts à d’autres architectes, c’était une forme de lavage de cerveau. Ce qui n’est pas si grave car Le Corbusier reste un génie, mais j’ai trouvé que nos cours étaient un peu mono-orientés. Je pense que les choses ont bien changé depuis.

Pourquoi n’avez-vous pas poursuivi dans cette voie ?

J’ai arrêté parce que moi, ma passion c’était vraiment la musique. À la fin du bac, j’avais envoyé mes cassettes aux maisons de disque qui les ont toutes refusées donc j’ai dû faire des études.

Nicolas Godin, 2015 © Mathieu Cesar

J’ai choisi l’architecture parce que mon père était architecte, j’ai complètement baigné là dedans depuis ma plus tendre enfance. Pendant mes études je voyais certaines personnes passionnées par l’architecture, autant que je l’étais par la musique et j'ai rapidement compris que l'architecture, ce n'était pas fait pour moi.

J’ai donc tenté une deuxième chance pour la musique en créant Air avec Jean-Benoît Dunckel. Les choses avaient changé, je pense que pour faire une carrière il faut être au bon endroit au bon moment, et qu’en 1995 j’étais vraiment au bon endroit au bon moment.

Quelle image aviez-vous de l’architecture à cette époque ?

Mon père avait été architecte avant 1968, je l’avais toujours vu très sérieux, en costume, prendre des avions pour concevoir des projets un peu partout dans le monde, avoir une agence. Les architectes c’était des types qui avait un grand savoir d’ingénierie, un statut social impressionnant, une certaine respectabilité.

Quand j’ai commencé mes études, ça avait beaucoup changé, j’ai trouvé qu’il y avait un côté pas très sérieux chez les élèves et chez les profs. J’étais finalement assez déçu par les études, ce n’était pas à la hauteur de ce que j’avais connu à l’époque de mon père.

C’est aussi pour cette raison que je suis content d’avoir fait ce projet avec Xavier, ça a un peu renoué avec la vision romantique que j’avais de l’architecture.

Dans le cadre de son projet Xavier Veilhan a sélectionné plusieurs maisons de ses rêves. S’il y en avait une, quelle serait la vôtre ?

Ma maison préférée du projet, c’est la maison de John Lautner à Los Angeles qui s’appelle the Sheats-Goldstein Résidence. Ça va paraître bête ce que je dis mais selon moi, c’est l’accord parfait entre l’avant-garde et le confort bourgeois. Ce qui n’est pas vraiment le cas de Le Corbusier qui dessinait des maisons finalement assez austères. Je trouve qu’au contraire, John Lautner réussit à concilier esthétique et confort.

Vous semblez avoir un fort lien avec la Californie. Est-ce un hasard si cette maison se trouve à Los Angeles ?

Il faut reconnaître qu’on a tout de suite eu un accueil très chaleureux à Los Angeles, avec Air. On y a débarqué en 1998 pour tourner le clip de Kelly Watch the Stars, et toute la semaine on avait vu défiler la scène musicale. On a découvert un monde qui ressemblait un peu à la Côte d’Azur.

Concrete & Glasses, Nicolas Godin - NCLS sorti le 24 janvier 2020 © Digital ArtWork

Je pense que c’est une ville envoûtante qui vous attire dans ses griffes, une ville qui utilise les énergies de tous les nouveaux arrivants. Mais globalement, ce que j’aime en Californie, ce sont les maisons. À Los Angeles il y a cette liberté totale du geste architectural qui est complètement folle, cette forme d’hédonisme à l’état pur.

Y-a-t-il d’autres lieux dans le monde qui vous ont marqué ?

Un des endroits qui m’a le plus marqué, et où j’aime le plus jouer est l’Opéra de Sydney. Ce bâtiment est complètement génial avec cette image de coquillage posé sur une espèce de presqu’île au milieu de la baie de Sydney. Et le fait d’y avoir fait des concerts, ça m’a aussi permis d’expérimenter le bâtiment de l’intérieur, qui est tout aussi fascinant.

Le Brésil a aussi été un choc urbanistique très fort notamment à Sao Paulo que j’associe à une sorte d’océan de béton anarchique, ou Brasilia qui est un incontournable pour moi qui suis fan d’Oscar Niemeyer. C’est une ville que l'on a aucune raison de visiter, si ce n'est pour découvrir son architecture. Quand vous vous y baladez à la tombée de la nuit, sur l’allée des ministères avec toutes ces lumières qui s’allument, vous avez l’impression d’être dans une sorte de Rome moderne. C’est la Via Appia - Voie Appienne - des années 60.

Brasilia © Kathia Shieh (CC BY 2.0)

Ce que je trouve génial, c’est le courage de l’architecte d’y être allé à fond, de mettre en œuvre cette volonté politique qui aboutit à quelque chose de radical comme a pu le faire Haussmann à Paris par exemple.

Justement en tant qu’habitant de Paris, que pensez-vous de son architecture ?

Je connais très bien Paris mais je pense que c’est une ville qui est très coincée urbanistiquement. On a peur d'y construire des bâtiments avant-gardiste, alors on fait des choses moches, qui sont modernes mais qui ont tous les défauts de la modernité et tous les défauts de l’ancienne architecture, c’est-à-dire des bâtiments qu’on ne voit pas trop et qui vieillissent mal.

J’aime beaucoup la cohabitation entre le vieux historique et la modernité notamment pour la noblesse des matériaux modernes. Un endroit qui me fascine dans Paris c’est la Bibliothèque François Mitterrand, ce lieu imaginé comme un livre ouvert. Paradoxalement je m’attendais à détester et finalement il y a quelque chose que j’apprécie là bas, il s’y passe quelque chose.

Paris c’est aussi là où vous avez enregistré ce dernier album, et dessiné votre propre studio où l'on se trouve actuellement...

Pierre Rousseau - qui produit l'album - et moi n’avons pas enregistré dans ce studio, mais dans une cabine de 9 m², volontairement petite comme un retour à mes débuts. Je voulais retrouver cet esprit où je faisais de la musique dans ma chambre. Finalement, on a juste enregistré dans un vrai studio pour la batterie et pour l’orchestre.

Studio de Nicolas Godin, Paris © Nicolas Godin

Je concevais donc le studio quand je concevais l’album. J’ai travaillé et dessiné les plans avec Lucas Medus qui est spécialisé dans la conception de studios. C’est un endroit assez particulier, une ancienne école de danse qu’il a fallu entièrement repenser pour sa nouvelle fonction.

Pour terminer, est-ce que vous pensez que c'est possible d'écouter l'album Concrete & Glass sans connaître le projet Architectones, d'où tout est parti ?

Oui, complètement. On a gardé la même trame harmonique et mélodique pour les musiques de l'album que pour celles que j'avais composées pour le projet Architectones, mais le résultat final est assez éloigné de mes compositions d'origine. Le projet c'était une forme de nouveau défi, un prétexte à la création mais je ne cherche pas à rester enfermé dans un concept. Je voulais faire une musique qui parle à tout le monde, et accessible à tous.

C'est ce qui me plaît dans la musique, l'immédiateté et la sensualité d'un morceau qui touche les gens tout de suite. Il n'y a rien de comparable au degrés d'émotion que tu peux atteindre à travers cet art selon moi. Je pense que l'architecture c'est l'art le plus noble, mais la musique est l'art le plus fort.

Marie Crabié