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Baraka-fritesPour ou contre la street food ? Entre deux articles sur l’architecture, la question peut sembler décalée. Pourtant, au-delà des considérations culinaires, la nourriture de rue influe considérablement la forme des villes qui l’accueille, et ça, c’est une question urbaine… Alors, pour ou contre la street food ?
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L’époque est à la mobilité. Le temps est comptabilisé et l’acte de manger lui-même devient chronométré. La cuisine suit le mouvement et s’installe dans des camions baptisés food trucks, des stands ou des kiosques. Traditionnelle dans de nombreux pays, populaire en Angleterre et aux Etats-Unis, la “street food” se développe depuis quelques années en France. Si elle est en passe de modifier la physionomie de nos centres villes, est-on certain d’y déguster de la “vraie cuisine” ?

Le Camion qui Fume, Cantine California, Clasico Argentino, Luz Verde… Les nouvelles icônes de la cuisine de rue avec leurs mets insolites et diversifiés se multiplient dans nos villes. On les trouve dans la rue mais aussi dans les parcs, dans les entreprises, ou lors d’événements. Devenus incontournables, les food trucks sont en train de transformer nos rues en cuisines géantes, permettant à tous de trouver un plat à son goût.

Car avec la progression des régimes particuliers, il est parfois difficile de réunir plusieurs personnes autour d’une même table. Végétariennes, sans gluten, halal ou casher, les cuisines de rues offrent alors la possibilité de retrouver autour d’un même repas des plats provenant de différentes adresses. La rue devient le point de rencontre de tous les commensaux.

Ce fut le cas notamment le 2 juillet dernier sur le boulevard de Belleville, où avait lieu le premier Food Market de la capitale. Là ou l’on aurait pu s’attendre à une colonie de camions qui envahissent la rue, il n’y eut que de simples stands proposant des plats cuisinés à déguster sur place ou à emporter. Un retour aux principes originels de la street food, au-delà des très en vogues “food trucks”, qui n’a pas manqué de succès et s’est répété plusieurs fois depuis.

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Mais avant de garantir une diversité de cuisines, la street food était surtout un moyen de proposer à tous une restauration accessible. En Europe, c’est d’abord en Angleterre qu’elle se développe dès la première moitié du XIXème siècle, lors de la révolution industrielle. Les ouvriers, dont les logements ne comportent alors ni cuisines ni salles de bains, n’avaient pas les moyens de se restaurer dans les cafés et les pubs. Des commerces alimentaires de rue, peu coûteux, se développent pour permettre leur ravitaillement. De là est né le principe originel de la street food : une installation minimale, qui permet au propriétaire de ne payer ni emplacement, ni stock, ni électricité. Avec très peu d’outils, il cuisine généralement un seul plat qu’il peut alors vendre à prix minime.

Dès lors et jusqu’à aujourd’hui, la street food n’est certes pas forcément créative, mais elle est efficace et bon marché. Jean-François Mallet, auteur de Planet Food (ed. de la Martinière) ajoute : “comme la cuisine et le cuisinier sont visibles, on se fait tout de suite une idée de la qualité (…). Dans des pays comme le Vietnam, c’est dans la rue qu’on mange le mieux”.

En France, si elle ne trouve son origine ni dans une pratique ancestrale ni dans un moment historique, elle est pourtant bien présente depuis des décennies. Bien avant la version “hipsterisée” des foods trucks comme en trouve des dizaines ces dernières années, il y a longtemps que l’on déguste ici une part de socca niçoise ou une galette-saucisse un jour de marché ou de match, une pizza du camion devant la sortie du lycée, un maïs ou des marrons chauds à la sortie du métro…

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Mais au pays de Paul Bocuse et de Joël Robuchon, en France où la cuisine est classée au patrimoine mondiale de l’humanité, doit-on s’inquiéter de la prolifération de cette cuisine de rue ? L’espace minimal nécessaire à sa conception met-il en péril sa qualité ? Rien n’est moins sûr ! Certes, pas question de proposer tout le panorama de la cuisine hexagonale depuis l’arrière d’un camion aménagé – une batterie de cuisine à la française comporte entre 30 et 40 outils destinés à des usages précis, néanmoins en adaptant l’offre culinaire à un nombre minimum d’ustensiles, les “street cuisiniers” n’ont aucune raison de brader la qualité. Ils peuvent même au contraire développer de nouveaux plats directement inspirées par ces contraintes.

Le wok par exemple, originaire d’Asie, a engendré toute une gamme de mets qui ne nécessitent qu’un feu rudimentaire grâce à sa forme sphérique qui s’encastre dans l’ouverture du foyer. Il devient l’outil idéal et unique pour chauffer du liquide, frire ou braiser des aliments… Pour garantir une cuisson homogène des aliments, le wok impose néanmoins de couper tous les éléments, viandes et légumes, en fine lamelles. A partir de cette base s’est développée toute une technique de préparation et des recettes appropriées, définissant ainsi une Gastronomie.

Toutes les “street food” adoptent ce principe minimaliste d’efficacité : un matériel simple voire rustique, souvent transportable, pour fabriquer un plat unique. Ceci assure alors une maîtrise des coûts, de la fabrication et de la qualité de la recette. Chacune étant étroitement lié avec la configuration de l’espace où elle est conçue, la pluralité vient donc plutôt de la diversité de ces cuisines qui nous permet de composer un menu varié sur le pouce.

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Réduire l’espace pour réduire le coût n’a de rien contradictoire avec la cuisine, l’acte de transformer des ingrédients bruts en nourriture. Qu’il s’agisse de mets provenant d’un restaurant, d’une kitchenette, d’un camion ou de n’importe quel autre lieu de conception, la pratique reste la même, sans aucun doute l’une des seules activités humaines universellement partagée et pratiquée: la cuisine. Et si aujourd’hui son évolution instaure de nouvelles pratiques urbaines, tout laisse à penser qu’elle ne compromet en rien la diversité de l’offre.

Louis Samama