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PublicationMickaël Labbé, philosophe de l'art et spécialiste d'architecture publie « Reprendre place. Contre l'architecture du mépris » aux Éditions Payot. Il y plaide pour une architecture de la reconnaissance plutôt que du mépris, bienveillante plutôt qu'hostile, qui invite ses habitants à se réapproprier l'espace public.
Reprendre place, Mickaël Labbé aux éditions Payot
Reprendre place, Mickaël Labbé aux éditions Payot
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Dans son ouvrage Reprendre place publié aux Éditions Payot en octobre dernier, le philosophe de l’art et spécialiste d’architecture Mickaël Labbé interroge l’architecture de nos villes, qui se construisent, selon lui, bien plus contre ses habitants qu’avec eux.

Une architecture hostile

Sa réflexion, le philosophe la matérialise notamment à partir d'exemples de mobilier urbain - avec en ligne de mire, le Camden Bench imaginé à Londres par Factory Furniture - conçu sans cesse à travers le prisme de la méfiance et de l’exclusion de populations considérées comme indésirables - les personnes sans abris, les jeunes jugés bruyant, les toxicomanes, les Roms, etc.

Camden Bench, Freemasons' Hall on Great Queen Street, London © The wub (CC BY-SA 4.0)

En témoignent les bancs divisés en places individuelles, les entrées de parking équipées de « douche anti-SDF », la multiplication des systèmes de vidéosurveillance ou encore les aires de jeux grillagées qui s’inscrivent en rupture avec l’espace public, et répondent selon l'auteur à une logique de conception marchande de la ville où la rationalité a remplacé toute volonté de construire la ville à partir de ce qui est déjà là, de ses habitants, par et pour eux.

Les pathologies urbaines du social

C’est donc en partant des « pathologies urbaines du social » que Mickaël Labbé amène à réfléchir aux différentes logiques d’exclusion à l’œuvre dans nos villes - entre autres l’architecture du mépris, la tourismophobie, la privatisation des espaces - s’inscrivant à l’encontre de ce que le philosophe Axel Honneth appelle « la lutte pour la reconnaissance » pourtant inhérente aux rapports humains et véritable « moteur des rapports sociaux. »

Contre une telle logique de conception marchande des espaces urbains, l’auteur invite alors à « reprendre place » en s’emparant du concept de « droit à la ville » - qu'il reconnaît pourtant être dépassé à de nombreux égards. Il s’agirait alors pour lui de reconquérir les espaces nôtres, notre quartier, nos rues et nos places sans « regarder ailleurs » - dans des organisations autonomes et temporaires de vie sociale constituées sous formes de ZAD, d’occupation de lieux, autrement dit d’utopies localisées aussi riches soient-elles.

Le droit à la ville

L’auteur plaide ainsi pour une architecture démocratique, « où l’on prendrait en compte la part habitante, car les lieux sont aussi ce qu’on en fait par nos vies, par notre présence » et de poursuivre :

"Une architecture qui « fonctionne », c'est peut-être avant tout cela : permettre la formation d'une vie sociale réussie, d'une articulation entre l'individuel et le collectif ; organiser la cohabitation de la pluralité et de la diversité des nécessités et des êtres."

Mais quelle forme alors, donner à cette architecture du droit à la ville ? L'auteur cite notamment l'exemple du quartier-coopérative SESC Pompeia, construit entre 1977 et 1986 à Sao Paulo, qui selon lui constitue « un signal de ce que l’architecture peut permettre d’inventer les possibles d’une autre manière de faire la ville et d’être ensemble dans l’espace urbain. »

Quartier-coopérative SESC Pompeia © Markus Lanz, Imagens Portal SESCSP (CC BY-NC-ND 2.0)

Il en va de même pour les Playgrounds d’Aldo Van Eyck, véritable « ode à la vie urbaine, au partage de l’urbanité et à la pleine participation à la bigarrure d’une cité qui accueille toutes les expériences de la ville, et pas simplement les expériences productives ou les impératifs de la circulation. »

L'architecture de tous les jours

Finalement, l'auteur interroge la définition de notre attachement à ce qui nous entoure, à l’architecture de nos villes, celle de tous les jours. Quelle rôle joue-t-elle sur notre manière de vivre, nos habitudes et nos émotions ? Cette question trouvait notamment une réponse le 15 avril dernier - et c’est par cet exemple marquant que l’auteur achève sa démonstration - alors que sous les yeux d’une foule impuissante, brûlait la Cathédrale Notre-Dame à Paris, ce patrimoine que l’on croirait éternel.

Aldo Van Eyck, Playground, Amsterdam, Netherlands, 1947-1978 © Domaine public

Autour de ce monument, c’est une histoire, des souvenirs partagés et un avenir commun que se figurent les citoyens émus qui assistent à ce spectacle. Finalement, ce que l’architecture, « cette donnée fondamentale de la condition humaine d’habitation du monde » selon l'auteur, représente pour chacun de nous.

Publié en octobre 2019, Reprendre place, Contre l'architecture du mépris de Mickaël Labbé aux Éditions Payot-Rivages, 19€

Marie Crabié