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Comment habite-t-on ? (3)Troisième épisode de notre série qui interroge notre manière d'habiter un lieu. Architectes, sociologues, psychanalystes et habitants nous parlent aujourd'hui de nos fenêtres comme d'une interface intérieur/extérieur, d'une ouverture propice à l'évasion ou de l'ultime limite de notre logement.
Warehouse Astoria Waterfront 115 C © Jim Choate (CC BY-NC-ND 2.0)
Warehouse Astoria Waterfront 115 C © Jim Choate (CC BY-NC-ND 2.0)
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Donner sur la rue en temps habituel, c'est se laisser porter par l'ambiance citadine parfois calme, et plus souvent agitée. Écouter les conversations selon que l'on se trouve au 1er ou au 5e étage, se laisser bercer par les bruits de moteur, les voitures, les mobylettes ou plus rarement ce voisin qui a décidé de sortir sa Harley Davidson un dimanche matin.

C'est supporter les bars et ses habitués qui continuent à boire sur le trottoir après la fermeture, c'est suivre les retrouvailles de deux amants, de deux copines ou d'une famille. C'est savoir quand c'est jour de match, et malgré tout prendre part au jeu. Il y a "d’habitude" et il y a "maintenant".

Rue du Marché aux Fromages - Kaasmarkt le 30 mars 2020 © visit.brussels - Jean-Paul Remy (CC BY-NC-ND 2.0)

Maintenant que les rues se sont vidées de la plupart de leurs habitants, elles laissent place à une ville « douce » ou « un peu anesthésiée », « un peu comme un paysage enneigé » selon Yves, habitant d'un appartement à Clichy-la-Garenne, interrogé par Karine Chevallier dans le cadre du projet Ta fenêtre sur écoute.

« D’habitude je vois les gens, maintenant je les regarde, je suis en apesanteur. Les gens sont souvent seuls, ce sont des vieilles personnes, il n’y a plus d’enfant, plus de parent. Je finis par reconnaître les personnes qui passent. Certains ont gardé leurs habitudes. Les gens sont encore hyper réglés. »

Patrick aussi a souhaité participer à ce projet qui retranscrit en image le confinement de volontaires à travers la France. Il vit au Havre, et depuis la fenêtre de sa cuisine il voit le plateau de la ville haute, il entend les voitures et ressent l’air frais qui envahit progressivement son appartement.

"Je suis profondément citadin, alors les bruits font partie de ma vie. En ce moment, c’est très impressionnant, on n’entend rien. Habituellement, les sons rythment la vie : l’école, les heures de bureau, le train qui passe."

Réfléchir à nos espaces

Le projet Ta fenêtre sur écoute a été imaginé par la fondatrice de l'association Les cueilleurs d'histoire, Karine Chevallier et l'architecte et photographe Rachel Doumerc. Lancé au tout début du confinement, il invite chaque participant à prendre une photo depuis sa fenêtre avant d’être rappelé pour un entretien d’une trentaine de minutes. « La photo est un point de départ à une réflexion plus globale sur la manière dont on occupe nos espaces, explique Rachel Doumerc. Chacun répond plus ou moins précisément, et certaines personnes dérivent sur d’autres sujets. »

Through the window © Gunilla G (CC BY-ND 2.0)

« Beaucoup me parlent de leurs espaces extérieurs quand je les questionne sur leur logement, raconte Karine Chevallier. C’est d’ailleurs un sujet qu'elle a pu aborder avec l’une des personnes interrogées qui a longtemps vécu en appartement et occupe désormais une maison avec jardin. « Il m'expliquait que la fenêtre d'un appartement, c'est l’extrême limite du logement, une limite physique qu’on exploite à 100% parce qu’elle fait le lien avec l’extérieur alors qu’en maison, la limite ça va être la rue, ou le fond du jardin. »

La fenêtre, limite ou ouverture ?

Du latin fenestra, la fenêtre signifie littéralement ouverture ou passage. Si elle permet, dans un mouvement allant de l’extérieur vers l’intérieur, la pénétration de lumière dans un espace, ses usages en ont façonné une toute autre définition comme l’explique le psychologue Stéphane Vial dans son article Habiter les interfaces : Usages de la façade et pratiques de la fenêtre en architecture.

« L’usage autant que la pratique architecturale ont donné à la fenêtre une toute autre signification, liée à la pratique du tableau et à l’attrait du paysage selon laquelle la fenêtre, conçue comme ouverture sur le monde extérieur vécue depuis le dedans, propose en réalité un mouvement inverse du premier, sous la forme d’une projection vers l’extérieur depuis l’intérieur. »

The Three Sisters © Matt Dean (CC BY-NC-ND 2.0)

Comme une manière de repousser les limites de notre logement, occuper nos fenêtres nous permettrait de nous évader par le regard mais aussi les sons, les odeurs, les variations de températures. « Rester chez nous peut nous permettre de reprendre contact quotidiennement et tout au long de la journée avec nos intérieurs et extérieurs, selon Rachel Doumerc, dans un dialogue plus ou moins silencieux entre ces deux aires, on laisse agir et alors on se questionne. »

Véritable « machine à regarder » mais aussi point de projection visuelle, la fenêtre est un espace à part entière selon Stéphane Vial, un espace qui peut « modifier nos états de consciences, influencer notre équilibre émotionnel et stimuler nos rêveries », poursuit-il.

Une invitation au voyage bienvenue en ces temps de confinement, en témoignent des initiatives comme le #fenetressurtour imaginé par le photographe Martin Argyroglo sur Instagram, qui depuis son appartement à Paris capture les rues, les passants et exploite ainsi tous les points de vue depuis ses fenêtres, ou encore le #LaVueDepuisMonConfinement sur Twitter qui encourage chacun à partager les différentes perspectives sur l'extérieur qui l'entoure.

Une interface public / privé

Unique lien avec le monde extérieur en appartement, la fenêtre devient ce lieu rassurant qui nous connecte avec le vivant, les bruits des oiseaux, l'air frais et nos villes endormies. « J’adore être à la fenêtre et regarder la ville, c’est comme si j’étais seule mais en ville. C’est un luxe incroyable », témoignait ainsi l’architecte Sophie Delhay, interrogée dans le cadre du podcast Hors Concours au micro de David Abittan.

Mais la fenêtre, c’est aussi cette interface qui fait le lien entre l’intime du logement et l’espace public, de la rue, d’une cour partagée ou de nos voisins. Pour Julien Callot, architecte au sein de l’agence Lacaton & Vassal, la fenêtre constitue « autant un espace qu’on pourrait investir, qu’un endroit où on a besoin de distance, d’une protection des regards ou de la chaleur. » Une distance qui fait parfois défaut dans les logements de nombreuses grandes villes françaises, « où les balcons ne sont pas toujours habités comme ils pourraient l’être », où l’espace manque.

Fenêtre De Lumière © Figures Ambigues (CC BY-NC-ND 2.0)

Pour autant, « ces ouvertures constituent des bonus quand on a la distance pour s’en protéger, quand elles ne viennent pas en réduction de l’espace vital, explique-t-il. Ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons dans le cadre de nos projets, dans cette logique de toujours produire de l’espace, et notamment des espaces flexibles pour ne pas en déterminer les usages. » Plus d’espaces qui apportent aussi plus de choix, un point essentiel en cette période contrainte qui peut nous amener à repenser nos habitudes, notre aménagement intérieur, et nos priorités.

Retrouvez aussi le premier et le deuxième épisodes de notre série "Comment habite-t-on ?"

Marie Crabié
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