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TribuneDenis Dessus, président de l'Ordre des Architectes et membre du collectif "Ambition logement", rappelle dans cette tribune les réserves exprimées par la profession vis-à-vis de la loi Elan. Il se félicite des amendements adoptés par les sénateurs qui étudient actuellement le texte, mais appelle à la vigilance avant l'adoption définitive de la loi.
Denis Dessus - DR
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Le projet de loi ELAN, adopté par l’Assemblée nationale le 12 juin après engagement de la procédure accélérée, est arrivé au Sénat début juillet. Ce texte ne répond pas aux besoins des habitants, et ne porte aucune réflexion ni objectif architectural, environnemental, urbanistique ou social. Il favorise les économies à court terme de l’Etat et les profits des grands groupes du BTP. C’est un retour en arrière aux pratiques des années 50 et 60, dont nous payons pourtant encore le prix.

L’examen au sein des Commissions Affaires Economiques saisie au fond, Culture, Lois et Aménagement du territoire et Développement durable saisies pour avis, vient de s’achever avant la discussion en séance publique qui se tiendra du 16 au 24 juillet. Les Commissions du Sénat ont, il faut saluer leur travail, fort heureusement adopté des amendements qui repoussent certaines des pires dispositions. Mais le danger n’est pas écarté.

Utiliser le patrimoine du logement social


Au lieu de s’attaquer réellement au mal-logement en France, et sans rien prévoir pour la rénovation du parc existant et parfois dégradé, le gouvernement a, avec ce projet de loi, surtout cherché à utiliser le potentiel économique des 4,5 millions de logements locatifs sociaux: un patrimoine payé avec de l’argent public mais n’engendrant plus de flux financiers, hormis les loyers payés par les familles hébergées. Pour « activer » cette ressource, le gouvernement pousse au regroupement et à la transformation des organismes, à la vente de leur patrimoine et à l’extension de leurs activités via des filiales, les bailleurs devenant des « méga-opérateurs multi-tout ».

Les règles de la commande publique maltraitées


A cette mécanique de libéralisation et de marchandisation du logement social, vient s’ajouter un autre volet tout aussi préoccupant encore qui consiste à démanteler la loi MOP, relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée.

Cette loi fixe des règles de transparence et de mise en concurrence ainsi qu’une démarche qualité reconnue. Elle garantit l’indépendance des concepteurs des intérêts de l’entreprise, responsabilise la maîtrise d’ouvrage et les maîtres d’œuvre. Elle est un outil qui permet avec souplesse, d’améliorer, d’adapter et d’optimiser le projet de la conception à la livraison. Une fois la MOP dynamitée, et d’autant que le texte généralise la possibilité de recours à la conception-réalisation, il sera difficile pour le maître d’ouvrage public de ne pas faire appel aux grands groupes du BTP, au détriment des artisans et des PME du BTP et de la maîtrise d’œuvre indépendante.

Il faut rappeler que l’on parle là d’utilisation de l’argent public ! Et du logement de millions de personnes…

Contre l’intérêt des habitants


A ce sombre tableau, il faut ajouter les dispositions présentées comme de « simplification », mais détricotant en fait des règles qualitatives : fin de l’accessibilité universelle des logements aux personnes handicapées et brèches ouvertes dans la loi SRU qui oblige à la réalisation d’au moins 25% de logements sociaux dans toutes les villes, dans la loi littoral qui a permis de sauver nos côtes, dans la protection du patrimoine ou encore dans la loi LCAP sur l’architecture et le patrimoine, votée avec enthousiasme il y a à peine deux ans.

En bref, jamais l’intérêt des habitants n’est pris en compte dans la mécanique de cette loi.

Le retour du bon sens au Sénat ?


A l’heure où nous écrivons, les Commissions du Sénat ont examiné le texte et ont rétabli un peu de bon sens en supprimant certaines des pires dispositions ou en introduisant des solutions plus équilibrées. Elles ont fait, notamment la commission culture, un travail remarquable, et n’ont pas hésité à porter nos propositions ainsi que celles du Collectif Ambition Logement :

- Les bailleurs sociaux resteraient soumis au cadre vertueux de la loi MOP
- Serait maintenue l’interdiction pour un bailleur social d’acquérir la totalité d’un programme en Vefa, auprès d’un promoteur privé, détournant ainsi les règles de la commande publique.
- Les dérogations permettant le recours à la conception-réalisation resteraient limitées aux bailleurs sociaux et ne seraient pas étendues aux autres maîtres d’ouvrage publics
- L’interdiction pour les OPH d’insérer dans les contrats des clauses de paiement différé (particulièrement handicapantes pour les PME) serait maintenue
- Le pourcentage de logements accessibles dans les constructions neuves remonterait de 10% à 30% (au lieu de 100% aujourd’hui…)
- La dérogation au recours à l’architecte pour les sociétés coopératives agricoles serait supprimée
- Le rôle de l'ABF sur le projet de délimitation des abords des monuments historiques serait maintenu
- En zone littorale, l’autorisation d’urbanisme serait soumise pour avis à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
- Il resterait interdit aux bailleurs sociaux de vendre leurs logements en nue-propriété, ce qui aurait contribué à la disparition du logement social dans certaines communes.

Mais le texte qui sera présenté en séance publique au Sénat à partir du 16 juillet comporte toujours de sérieuses régressions : nouvelles dérogations à la MOP dans les grandes opérations d’urbanisme, dérogation pour utiliser la conception-réalisation pour les CROUS, fin de l’obligation faites aux bailleurs sociaux (mais aussi aux CROUS) de recourir à la procédure du concours pour choisir l’architecte, extension des missions des bailleurs sociaux à toutes sortes d’activités du champ concurrentiel, possibilité de passer outre l’avis de l’ABF si l’habitat est déclaré dégradé, etc.

La séance publique sénatoriale doit encore améliorer le texte, mais c’est à l’Assemblée nationale que reviendra le dernier mot, car un accord en Commission Mixte Paritaire reste très aléatoire.

Le logement social « à la française », accessible au plus grand nombre, en proximité avec les territoires, est le socle de la cohésion sociale nationale. C’est un modèle efficient qui n’a pas démérité, loin s’en faut.

C’est le cas aussi pour la loi MOP, pour les règles de la commande publique qui ont permis ces dernières années de parvenir à un record de construction de logements en France. Leur remise en cause serait d’autant plus dommageable que le gouvernement ne propose aucun nouveau cadre qualitatif pour les remplacer.

Quel intérêt de casser ces outils qui fonctionnent, plutôt que de continuer à les améliorer, grâce au dialogue avec tous les acteurs, pour répondre aux nouveaux enjeux sociaux et techniques ?

Les parlementaires ont la possibilité et la responsabilité de refuser dans cette loi les facteurs de régression dénoncés par la société civile, de refuser le mal-logement de demain, véritable arme de destruction massive de la société, qui est en germe.


Denis Dessus,

Président du Conseil national de l’Ordre des architectes

Membre du collectif « Ambition Logement »

Denis Dessus